qu'est-ce que la Peinture d'Histoire?
Passionnée depuis toujours par les diverses manifestations du récit illustré, je souhaiterais éclairer cette pratique d'un jour nouveau. Pour ce faire, nous allons entreprendre un bref voyage historique, de ses formes contemporaines à la redécouverte de son genre originel : La Peinture d'Histoire.
A l'heure actuelle, il existe diverses techniques d'illustration de récit reconnue et appréciée du grand public. Elles se déclinent sous divers aspects : le roman photo, la bande dessinée, le cinéma ou encore la littérature enfantine. Qu'elle orne simplement une couverture, quelques passages clés d'une histoire ou qu'elle en constitue la structure même, l'image est indubitablement liée au texte. Les médiums divergent mais le fond reste le même.
La bande dessinée contemporaine en est un parfait exemple. Elle représente un marché économique en plein essor. Tout comme le roman photo, il s'agit d'un processus séquentiel de l'image fixe. Les mangas et les manhua (BD chinoise) sont les favoris du jeune public. Leur technique de création est des plus remarquables. Nombreux sont les magazines, les sites internet et les reportages vidéos dévoilant les coulisses de leur mise en forme. Bien qu'il soit souvent discutable, le scénario est la base du cheminement créatif. Il est le plus souvent simpliste donc accessible à tous, enrobé de valeurs morales plus ou moins affirmées dans un but pédagogique revendiqué. Il mute naturellement vers le procédé ultime de l'association texte/image : le story-board. Souvent commercialisé par la suite, son étude est des plus instructives pour assimiler des notions parfois abstraites telles que le cadrage, le point de vue, la perspective, les divers plans existants, etc.….Cette étape indispensable permet la finalisation de l'œuvre sous forme d'images séquentielles fixes puis mobiles d'un esthétisme abouti et d'une qualité visuelle indiscutable.
Cette forme d'illustration narrative est certes incontournable dans l'histoire des arts du XXIème siècle mais elle ne résulte que de l'évolution formelle et technologique de notre société actuelle, comme ce fut le cas du roman photo lors du siècle précédent. Une évolution que l'on ne peut arrêter. Les maitres du manhua ne cessent de repousser les limites de leur art. Les prouesses techniques de Benjamin lui permettent à l'heure d'aujourd'hui de réaliser des ouvrages hybrides associant la bande dessinée à l'esthétisme naturaliste du photo roman. Orange en est un parfait exemple. Son réalisme graphique lui a finalement valu d'être censuré en Chine, jugé trop déprimant et dérangeant par ses détracteurs.
Ces nouvelles approches narratives aux entrées multiples offrent effectivement un champ de possibilités très large pour un artiste. Toutefois, je ne souhaite pas en réinventer la forme et le fond, à l'instar de Benjamin, mais plutôt permettre aux jeunes générations d'en redécouvrir l'origine sans pour autant trahir la thématique de cette résidence.
De tout temps, l'association du texte et de l'image fut au cœur des créations artistiques. Ils s'inspirèrent mutuellement, se nourrirent l'un l'autre comme en témoigne l'Exphrasis. Cette figure de rhétorique antique était un genre littéraire qui jouait sur l'illusion visuelle : " Il s'agissait de décrire des objets et des œuvres d'une manière si vive et si précise que le lecteur devait croire qu'il voyait réellement ce qui lui était dit. L'Exphrasis était donc une transcription textuelle d'une œuvre réelle ou imaginaire dont il convenait de comprendre les enjeux. " Cette technique se soustrayait donc à l'œuvre picturale afin de proposer au lecteur, faute d'image réelle, une image virtuelle. Elle s'imposa rapidement comme l'élément indispensable de toute narration romanesque.
Cette prouesse rhétorique était des plus fascinantes. Elle fit naître de nombreux débats historiques à travers les âges. Ce fut le cas pour le mythique bouclier d'Achille, dont la description était extraite de l'Iliade d'Homère : " Le bouclier comprend cinq couches. Héphaïstos y crée un décor multiple, fruit de ses savants penseurs. Il y figure la terre, le ciel et la mer, le soleil infatigable et la lune en son plein, ainsi que tous les astres dont le ciel se couronne, les Pléiades, les Hyades, la force d'Orion, l'Ourse (…). Il y figure aussi deux cités humaines, deux belles cités. Dans l'une, ce sont des noces, des festins. Autour de l'autre ville campent deux armées, dont les guerriers brillent sous leurs armures. " Le Poète, tel qu'il était surnommé par les anciens, maitrisait si bien cet exercice que Schliemann pensa avoir réellement retrouvé ce fameux bouclier lors de ses fouilles sur le site de Troie au XIXème siècle. Le mystère entourant la vie et l'Œuvre du célèbre Aède laisse encore aujourd'hui planer le doute dans l'esprit de nombreux historiens : Homère exista t-il réellement ? Décrivait-il la réalité ou était-il simplement un conteur de chimère ? Une chose est sûre, l'illusion visuelle de l'Exphrasis continue toujours de charmer le lecteur.
A la Renaissance, ce procédé resta au cœur de la controverse sur l'importance du texte ou de l'image. Quelle forme artistique de l'œuvre littéraire ou de l'œuvre picturale décrivait au mieux ? Qui du texte ou de l'image était le moteur premier de la création ? Un genre hybride se retrouva alors au cœur de la querelle : la peinture d'Histoire. A l'époque, un artiste de renom s'illustrait dans cette forme de représentation narrative : Titien. Il réalisa notamment une série sur le thème des Bacchanales. Un tableau se distinguait tout particulièrement : La Bacchanale des Adriens, réalisé en 1523. Le sujet provenait conformément à la commande du Duc de Ferrare, d'une Exphrasis de Philostrate, extraite d'Eikones (I, 25). L'auteur antique était venu à Naples pour les jeux et il descendit chez un riche particulier qui possédait une immense collection. Il décrivit alors un tableau illustrant une Bacchanale de l'Ile d'Andros. L'interprétation de ce texte par Titien fut tout simplement remarquable. Chaque détail y était présent. Le talent de l'orateur et du peintre s'allièrent à merveille, l'un dictant la composition de l'autre. Toutefois, une question subsista : Le tableau décrit par Philostrate était-il fictif ou réel ? L'avait-il imaginé pour enrichir son récit ou l'avait-il réellement eu devant les yeux ? Le mystère demeura entier. Toutefois, l'œuvre littéraire et l'œuvre picturale se révélèrent parfaitement complémentaire et imposèrent la peinture d'Histoire comme le genre de référence par excellence.
Le talent de ces peintres était de capturer l'instant clé du récit, l'élément modificateur de l'intrigue, qui permettrait au spectateur de comprendre d'un simple regard, l'action passé et à venir. La portée pédagogique d'un tel procédé d'éveil à la culture artistique était vraiment unique à l'époque. De plus, il fut au cœur de plusieurs prouesses techniques remarquables. Les peintres d'Histoire employèrent souvent le processus séquentiel d'images fixes comme le prouve les amours des dieux de Jules de Romain, extraits des Métamorphoses d'Ovide ou le plafond de la chapelle Sixtine de Michel-Ange, illustrant neuf scènes de l'Ancien Testament : de la Genèse de la Création à l'Arche de Noé.
La peinture d'Histoire atteignit son apogée durant le célèbre siècle des Lumières (XVIIIème). A l'époque, tout peintre en quête de reconnaissance et de prestige se devait d'exceller dans cette discipline. Sa maîtrise était le signe d'une haute érudition et d'une certaine noblesse d'esprit. Elle ouvrait les portes de l'Académie et de la cour royale et assurait aux jeunes artistes un avenir doré. Qu'ils imageaient des contes imaginaires, des poèmes antiques, des textes bibliques ou des récits historiques contemporains, ces peintres manifestaient un profond respect et une vraie admiration pour l'art de la narration. Cette forme d'illustration originelle se perpétua durant le XIXème siècle avant de disparaître au profit de l'abstraction et de la nouvelle figuration. Honorée par le passé, elle demeure méconnue de nos jours.
En tant qu'artiste et historienne de l'art passionnée, je souhaiterais donc la faire redécouvrir car au-delà d'éduquer l'œil et d'éveiller les esprits, elle permet d'apprécier l'étroitesse du lien unissant un texte à son image. Etre peintre d'Histoire, illustrateur ou photographe de récit, c'est avant tout avoir la capacité de laisser son esprit goûter à la saveur des mots et de les éclairer d'un jour nouveau…Tout comme les écrivains, nous courrons encore et toujours après l'illusion visuelle….
A l'heure actuelle, il existe diverses techniques d'illustration de récit reconnue et appréciée du grand public. Elles se déclinent sous divers aspects : le roman photo, la bande dessinée, le cinéma ou encore la littérature enfantine. Qu'elle orne simplement une couverture, quelques passages clés d'une histoire ou qu'elle en constitue la structure même, l'image est indubitablement liée au texte. Les médiums divergent mais le fond reste le même.
La bande dessinée contemporaine en est un parfait exemple. Elle représente un marché économique en plein essor. Tout comme le roman photo, il s'agit d'un processus séquentiel de l'image fixe. Les mangas et les manhua (BD chinoise) sont les favoris du jeune public. Leur technique de création est des plus remarquables. Nombreux sont les magazines, les sites internet et les reportages vidéos dévoilant les coulisses de leur mise en forme. Bien qu'il soit souvent discutable, le scénario est la base du cheminement créatif. Il est le plus souvent simpliste donc accessible à tous, enrobé de valeurs morales plus ou moins affirmées dans un but pédagogique revendiqué. Il mute naturellement vers le procédé ultime de l'association texte/image : le story-board. Souvent commercialisé par la suite, son étude est des plus instructives pour assimiler des notions parfois abstraites telles que le cadrage, le point de vue, la perspective, les divers plans existants, etc.….Cette étape indispensable permet la finalisation de l'œuvre sous forme d'images séquentielles fixes puis mobiles d'un esthétisme abouti et d'une qualité visuelle indiscutable.
Cette forme d'illustration narrative est certes incontournable dans l'histoire des arts du XXIème siècle mais elle ne résulte que de l'évolution formelle et technologique de notre société actuelle, comme ce fut le cas du roman photo lors du siècle précédent. Une évolution que l'on ne peut arrêter. Les maitres du manhua ne cessent de repousser les limites de leur art. Les prouesses techniques de Benjamin lui permettent à l'heure d'aujourd'hui de réaliser des ouvrages hybrides associant la bande dessinée à l'esthétisme naturaliste du photo roman. Orange en est un parfait exemple. Son réalisme graphique lui a finalement valu d'être censuré en Chine, jugé trop déprimant et dérangeant par ses détracteurs.
Ces nouvelles approches narratives aux entrées multiples offrent effectivement un champ de possibilités très large pour un artiste. Toutefois, je ne souhaite pas en réinventer la forme et le fond, à l'instar de Benjamin, mais plutôt permettre aux jeunes générations d'en redécouvrir l'origine sans pour autant trahir la thématique de cette résidence.
De tout temps, l'association du texte et de l'image fut au cœur des créations artistiques. Ils s'inspirèrent mutuellement, se nourrirent l'un l'autre comme en témoigne l'Exphrasis. Cette figure de rhétorique antique était un genre littéraire qui jouait sur l'illusion visuelle : " Il s'agissait de décrire des objets et des œuvres d'une manière si vive et si précise que le lecteur devait croire qu'il voyait réellement ce qui lui était dit. L'Exphrasis était donc une transcription textuelle d'une œuvre réelle ou imaginaire dont il convenait de comprendre les enjeux. " Cette technique se soustrayait donc à l'œuvre picturale afin de proposer au lecteur, faute d'image réelle, une image virtuelle. Elle s'imposa rapidement comme l'élément indispensable de toute narration romanesque.
Cette prouesse rhétorique était des plus fascinantes. Elle fit naître de nombreux débats historiques à travers les âges. Ce fut le cas pour le mythique bouclier d'Achille, dont la description était extraite de l'Iliade d'Homère : " Le bouclier comprend cinq couches. Héphaïstos y crée un décor multiple, fruit de ses savants penseurs. Il y figure la terre, le ciel et la mer, le soleil infatigable et la lune en son plein, ainsi que tous les astres dont le ciel se couronne, les Pléiades, les Hyades, la force d'Orion, l'Ourse (…). Il y figure aussi deux cités humaines, deux belles cités. Dans l'une, ce sont des noces, des festins. Autour de l'autre ville campent deux armées, dont les guerriers brillent sous leurs armures. " Le Poète, tel qu'il était surnommé par les anciens, maitrisait si bien cet exercice que Schliemann pensa avoir réellement retrouvé ce fameux bouclier lors de ses fouilles sur le site de Troie au XIXème siècle. Le mystère entourant la vie et l'Œuvre du célèbre Aède laisse encore aujourd'hui planer le doute dans l'esprit de nombreux historiens : Homère exista t-il réellement ? Décrivait-il la réalité ou était-il simplement un conteur de chimère ? Une chose est sûre, l'illusion visuelle de l'Exphrasis continue toujours de charmer le lecteur.
A la Renaissance, ce procédé resta au cœur de la controverse sur l'importance du texte ou de l'image. Quelle forme artistique de l'œuvre littéraire ou de l'œuvre picturale décrivait au mieux ? Qui du texte ou de l'image était le moteur premier de la création ? Un genre hybride se retrouva alors au cœur de la querelle : la peinture d'Histoire. A l'époque, un artiste de renom s'illustrait dans cette forme de représentation narrative : Titien. Il réalisa notamment une série sur le thème des Bacchanales. Un tableau se distinguait tout particulièrement : La Bacchanale des Adriens, réalisé en 1523. Le sujet provenait conformément à la commande du Duc de Ferrare, d'une Exphrasis de Philostrate, extraite d'Eikones (I, 25). L'auteur antique était venu à Naples pour les jeux et il descendit chez un riche particulier qui possédait une immense collection. Il décrivit alors un tableau illustrant une Bacchanale de l'Ile d'Andros. L'interprétation de ce texte par Titien fut tout simplement remarquable. Chaque détail y était présent. Le talent de l'orateur et du peintre s'allièrent à merveille, l'un dictant la composition de l'autre. Toutefois, une question subsista : Le tableau décrit par Philostrate était-il fictif ou réel ? L'avait-il imaginé pour enrichir son récit ou l'avait-il réellement eu devant les yeux ? Le mystère demeura entier. Toutefois, l'œuvre littéraire et l'œuvre picturale se révélèrent parfaitement complémentaire et imposèrent la peinture d'Histoire comme le genre de référence par excellence.
Le talent de ces peintres était de capturer l'instant clé du récit, l'élément modificateur de l'intrigue, qui permettrait au spectateur de comprendre d'un simple regard, l'action passé et à venir. La portée pédagogique d'un tel procédé d'éveil à la culture artistique était vraiment unique à l'époque. De plus, il fut au cœur de plusieurs prouesses techniques remarquables. Les peintres d'Histoire employèrent souvent le processus séquentiel d'images fixes comme le prouve les amours des dieux de Jules de Romain, extraits des Métamorphoses d'Ovide ou le plafond de la chapelle Sixtine de Michel-Ange, illustrant neuf scènes de l'Ancien Testament : de la Genèse de la Création à l'Arche de Noé.
La peinture d'Histoire atteignit son apogée durant le célèbre siècle des Lumières (XVIIIème). A l'époque, tout peintre en quête de reconnaissance et de prestige se devait d'exceller dans cette discipline. Sa maîtrise était le signe d'une haute érudition et d'une certaine noblesse d'esprit. Elle ouvrait les portes de l'Académie et de la cour royale et assurait aux jeunes artistes un avenir doré. Qu'ils imageaient des contes imaginaires, des poèmes antiques, des textes bibliques ou des récits historiques contemporains, ces peintres manifestaient un profond respect et une vraie admiration pour l'art de la narration. Cette forme d'illustration originelle se perpétua durant le XIXème siècle avant de disparaître au profit de l'abstraction et de la nouvelle figuration. Honorée par le passé, elle demeure méconnue de nos jours.
En tant qu'artiste et historienne de l'art passionnée, je souhaiterais donc la faire redécouvrir car au-delà d'éduquer l'œil et d'éveiller les esprits, elle permet d'apprécier l'étroitesse du lien unissant un texte à son image. Etre peintre d'Histoire, illustrateur ou photographe de récit, c'est avant tout avoir la capacité de laisser son esprit goûter à la saveur des mots et de les éclairer d'un jour nouveau…Tout comme les écrivains, nous courrons encore et toujours après l'illusion visuelle….