L'île aux pins

Je me disais hier soir que l’on écrivait plus de chanson de marins…

Alors je me lance !

Imaginez-vous sur un voilier marchand, en plein océan, voguant vers la Nouvelle-Calédonie et son Ile des Pins surnommée ‘’ l’ile la plus proche du paradis ‘’. Le vent se lève, la tempête arrive…

(Vous trouverez en bas de page un glossaire -dans l’ordre des couplets- des termes utilisés dans cette chanson .)

Bonne route !

L'ILE AUX PINS

I)
Les nuages qui s’amoncellent,
Préviennent en mer les fiers marins,
La tempête vient, elle sera belle
Cap au suroît sur l’île aux Pins !

Refrain

Chante plutôt que pleure
Le vent est là
Si l’'diable a sonné l’heure
Bois ton tafia !

II)
Amarrez tout, les matelots !
C’te nuit c’est sûr ça va cogner,
Prions que tiennent les aiguillots,
C’est bien fini le temps d’curé !

Refrain

III)
La mer s’enfrise de ses moutons,
Ça souffle fort sur les prélarts,
On est si loin de nos pontons !
Le coq saisit le cambusard.

Refrain

IV)
On a doublé le quintelage,
Afin de mieux dompter la lame,
Et de pas perdre le naulage,
C’est qu’faut des sous pour voir les dames !

Refrain

V)
Des paquets frappent les virures,
Le second lâche point la barre,
On a de l’eau jusqu’aux amures,
Les novices sont de vrais vidarts !

Refrain

VI)
Va bien finir par s’abeausir
Cette furie, maudit temps d’chien !
Pas un de nous s’en veut sancir,
Viv’ment l’recran de l’île aux pins !


Refrain

VII)
Ça roule de bâbord à tribord
On ne tient pas dans les banettes,
Y’en a qui pleurent souhaitant la mort,
Et d'autres jouent à la crapette !

Refrain

VIII)
Allez les gars faut étarquer
Croisez vos mains sur les orins
Si vous voulez qu’dans les cafés
Les femmes vous traitent pas de biffins !

Refrain

IX)
T’inquiète petit, le Vieux est bon
Son fascicule est bien salé,
C’est pas pour rien qu’il est Tonton
On sortira de cette branlée !

Refrain

X)
Le rhum enfume le carré,
Un boujaron dans chaque main,
On caus’ des filles à l’arrivée
Des jolies filles de l’île aux Pins…

Refrain
Chante plutôt que pleure
Le vent est là
Si l’diable a sonné l’heure
Bois ton tafia !

XI)
Le soleil va bien se lever,
Se lever pour les fiers marins,
Y’aura des filles à l’arrivée,
A l'arrivée à l’île aux Pins !

Refrain
Chante plutôt que pleure
Le vent est là
Si l’diable a sonné l’heure
Bois ton tafia !


Ad libitum…


GLOSSAIRE

Suroît : cap du navire, faire route au sud-ouest. Nord-ouest: noroît, nord-est: nordet, etc...

Tafia : mot créole, abréviation de ratafia. Vieux rhum que l'on consommait sans le laisser vieillir et qui n'était pas de la meilleure qualité.
.

Ile aux Pins ou des Pins : L'île des Pins, aussi surnommée l'« île la plus proche du paradis », est un petit système insulaire français au sud-est de la Grande Terre en Nouvelle-Calédonie.


Aiguillot : mamelon des gonds fixés au gouvernail.

Temps de curé : beau temps, mer très belle.

Prélart : lourde bâche imperméable protégeant les marchandises .

Coq : surnom donné au cuistot à bord (il y en a d’autres, du style : la cuisse, niladache, etc…)

Moutons : lorsque cela commence à moutonner (les vagues grossissent et les crêtes blanchissent)

Saisir : amarrez fermement.

Cambusard : vin rouge d'appellation non contrôlée distribué lors des repas aux marins, un gros qui tâche en somme, en opposition au « vin de précision », bon et en bouteille servis les dimanches et en certaines occasions.

Doubler : renforcer (ex : pour l’amarrage, l’on « double » les aussières, 2 ou 3 à la place d’une seule, du bateau au quai en cas de vent)

Quintelage : Amas de choses lourdes (sable/gravier) disposées tout au fond du navire pour lester un peu plus et renforcer la stabilité.

Naulage : nom donné au fret, marchandise du client (surtout en Méditerranée)

Paquets (de mer) : plus que des embruns ! L’eau embarque même sur le pont.

Second : second-capitaine, juste en dessous en grade du commandant.

Virure : bordages formant le revêtement extérieur du bateau.

Amure : cordage fixant le point bas d’une basse voile.

Novice : premier échelon dans les catégories marines. Elles vont de 1 à 20, 20 étant le commandant.

Vidart : cheval avec de fréquentes diarrhées (désolé !)

Abeausir : se mettre au beau en parlant du temps.

Sancir : couler bas par l’avant du navire.

Recran : crique.

Tribord : rappel : tribord est à droite MAIS toujours en regardant vers l’avant du bateau !!!

Banette : nom donné à la couchette du marin.

Crapette : jeu de carte, sorte de réussite mais à deux.

Etarquer : hisser une voile de façon que les bouts (ficelles si vous préférez, bande de biffins !) qui la retienne soient très tendus (souqués)

Orin : bout (prononcer ''boute''). Il n'y a pas de "corde" sur un bateau ! Enfin si, une seule, celle de la cloche fixée à l'avant du navire et qui sert à annoncer le nombre de maillons (un maillon de chaîne de mouillage est égal à environ 30 mètres) ou à piquer les heures (un matelot, pendant les rondes, frappait le nombre d'heures à la cloche).

Biffin : nom donné aux terriens.

Vieux/tonton : commandant/capitaine du bateau.

Fascicule : espèce de passeport du marin qui le suit toute sa vie et relate toute sa carrière. Embarquement et débarquement, dates, noms des ports et tampons des autorités compétentes. Sel sur le fascicule : ancienneté, a bien roulé sa bosse !

Branlée : désolé, mais l’on dit cela lorsque ça secoue sérieux, c’est plutôt dans le sens comme de secouer les cloches, pas ce que vous pensez bande de mécréants !

Carré : salle à manger pour les marins. Les carrés équipage et officiers sont séparés.

Boujaron : Mesure en fer-blanc contenant un seizième de litre pour la distribution des boissons aux marins. Ration d'eau-de-vie des marins. Un boujaron de tafia.

Compte-à-rebours...

« Ils vont venir, ils s’ront tous là,
Même ceux d’la porte d’Italie
Y’aura du bon foie gras mi-cuit,
Cette année, ça se passe chez moi, oi oi oi… »

Sors de ce corps, Charles !!!

Bon, un peu de sérieux, va pas falloir se vautrer !
Check- list et début du compte-à-rebours…

En premier, revoir la liste de ceux qui ont répondu présent !

Alors, alors, voyons…
Qui il y aura :

Tonton André viendra en Citroën
Et Tante Line bien sûr en Renault.
Tante Agathe assortie avec Pierre
Accompagneront ma tante Germaine.
Mamie Marcelle viendra en vélo
(C’était à cheval, l’année dernière…)
Papy René, a-t’il changé de canne ?
Quoiqu’il en soit, il viendra en bécane.
Ah ! Y’aura Joseph et son nouveau mari,
Urbain, qui travaille à la ville.
Se sont mariés y’à peu à la mairie !
Faut que j’trouve une place pour la veuve à Emile…
De Reno viendra cousin Fernand
Avec Jean très bien accompagné.
Amandine ne vient que pour bouffer !
Quand à Christine,
Cette petite coquine,
Encore une fois, elle finira à poil…
Cousin David, notre danseur étoile,
Repartira sur la pointe des pieds…
Quant à Léon toujours aussi pimpant,
Il f’ra la roue même s’il a plus 20 ans,
En arrivant je suis certain que Guy,
Comme d’habitude fera : ouh ouh, ouh ouh…
Le beau Martial, toujours droit comme un « i »,
S’accrochera à son verre de vin doux.
Le p’tit luLU qui vient que pour s’beurrer
Ira vomir dehors dans les allées !
Stéphane, le cœur toujours en berne,
Lui aussi viendra en petite reine.
Pourvu qu’ Hélène pour une fois cette année,
Puisse gérer enfin tous ses garçons...
Odette nous parlera de jeux
Qu’elle regarde le soir à la télé.
Pendant que Serge toujours aussi serviable,
S’occupera d’allumer les bougies,
Eve d’humeur guillerette,
Cherchera de quoi se mettre sous la dent !

Bon, je pense avoir fait l’ tour
De la famille et des amis.
Et même si d’autres arrivent à la bourre
Ma porte reste ouverte toute la nuit !
Faut juste pas faire trop de bruit,
Car en ma chambre, ma belle se s'est endormie...

ATTENTION pro FN s'abstenir ou pas...Sur l'air de "la marine" de Brassens...(désolé Georges !)

Y'en a qu'écoutent sans soucis
En grignotant des p'tits fours
Les complots et les non-dits
Avec lesquels elle te bourre..

C'est la force de la Marine
Son ramassis de conn'ries,
Ça me sort par les narines
Ses morves cochonneries !

Y'à pas d'fond dans tout c'qu'elle dit
Et beaucoup ont oublié
L'origine de ce parti
A l'odeur de croix gammée...

Y'en a qui rient, qui se plaisent
A bien l'écouter baver
Et voient mêm'pas qu'elle les baisent
Une fois le discours gravé !

Racism'et xénophobie
Sont inscrits au plat du jour
Comme une philosophie
Et servis sur du velours...

Mais y'a comm'une drôle d'odeur
Dans l'assiette de tous ces cons
De rance et puis de rancœur
Sous couvert de mirlitons !

La liberté de parler
Est un droit bien entendu
Quand à celle de penser
Faudrait pas qu'elle sent' le cul !

C'est la force de la Marine
Son ramassis de conn'ries
Et même en bleu marine
J'veux pas d'elle en tapiss'rie !

Il faudrait se concentrer
Fair' bon dieu taire tous ces cons
Au lieu de s'fair'emplâtrer
Par tous ces discours abscons !

Et dire qui y'en a qui pensent
Que ce serpent est l'av'nir
Voilà bien leur ignorance
Ça me donne envie d'vomir !

Pensée au poète oublié

Et du fond du cimetière

Tu nous regardes passant,

En ta tombe de misère

Qui n'est pas fleurie souvent.

Ton âme enfin se repose

Sous de vieux pétales de rose

Qui s'envolent au gré du vent,

Et sous la brise légère

Ce ne sont plus que fougères

Qui sont là te caressant.



O toi oublié des autres

Que tu berças si souvent,

Qui se disaient tes apôtres

Où sont-ils donc maintenant.

Ils ont hérité de tes vers

Te laissant dans la poussière

D'où tu entends tous tes chants.

Mais bienheureux que les ailes

De ces belles hirondelles

Viennent te saluer autant.



Dors mon ami, dors mon frère

Je me repose un instant,

Je me chante ta prière

Que nous chantions à vingt ans.

Les ocelles de lumière

Qui coulent là sur ta pierre

Sont les larmes du bon temps,

Et dans le soir qui s'installe

Mes mains posées sur la dalle

Je te sais encore vivant…

Vacances d'été

Je me souviens encore des vacances d'été
Passées au rythme doux de la blondeur des blés.
L'odeur des confitures fumantes dans le cuivre
De bassines laissées sur la flamme un peu ivre.


Là ces pommes vertes et si délicieuses,
Que nous frottions dans la sente poussiéreuse,
Pour que quiconque ne visse que nous avions volé
Un des fruits du tonton en ses si beaux pommiers.


Je revois ces femmes, harnachées de jupons,
Rejoignant les hommes suant durs aux moissons,
Leurs lourds paniers d'osier portés à bout de bras,
Arrachaient un sourire à ces braves forçats.


Je me souviens des vaches aux champs abandonnées,
Que nous allions, héros, enfin récupérer,
Attendant calmement l'ultime traite au soir,
Nous leurs trouvions alors de doux regards d'espoir.


Les cousines aimaient lorsqu'entre chien et loup
Au gerbier nous allions bras dessus et dessous.
L'odeur de la journée passée à s'amuser
S'entremêlait aux foins nouvellement coupés.


La table était dressée sous un grand appentis,
Au clocher onze coups avaient bien retentis.
Les filles et les gars fatigués de ce jour
Arrivaient frais lavés, mais le pas un peu lourd.


Le cidre en carafe, la lueur des bougies,
La tête du cochon et son brin de persil.
La lame des couteaux perçant en chaque main
Et le signe de croix qu'on trace sous le pain.


Malgré la fatigue, les langues se délient,
Les regards se croisent et les bouches sourient,
Et bientôt le tonton sortira l'élixir:
La bouteille de gnôle et viendront les rires.


Demain dès matines, ils rejoindront les champs,
Nous dormirons encore, privilège d'enfants.
Mémé est aux fourneaux, droite dans sa cuisine,
Sur la table de bois patientent nos tartines...

Petite valse...

Quand on se reverra

Mon Amour toi et moi

Pour la PREMIÈRE fois,



Nous serons donc si vieux

Que nous ferons l’amour

L’amour qu’avec les yeux.



Au creux du même lit

Qui ne tanguera plus

Nos vies tant assagies,



Laisseront au voyage

Une carte postale

Dentelée d’un autre âge.



Quand on se reverra

Mon Amour toi et moi

Pour la PREMIÈRE fois,



Y’aura comme un soleil

Une chaleur en plus

Au bleu de notre ciel.



Et c’est en ces rayons

Brûlant le gris du jour

Que nous nous trouverons,



Les cœurs un peu ridés

De trop et tant d’escales

En pays étrangers.



Quand on se reverra

Mon Amour toi et moi

Pour la PREMIÈRE fois,



Nous ne serons plus qu’un

Et enfin nos miroirs

Auront le même tain.



Je te dirais les mots

Notés au fil du temps

Au noir de ce tableau,



Le tableau de nos vies

Où saignaient tour-à-tour

Nos cœurs inassouvis.



Quand on se reverra

Mon Amour toi et moi

Pour la PREMIÈRE fois,



Le blanc de nos cheveux

Sera le doux velours

Où poser nos adieux



Quand on se reverra

Toi et moi mon Amour

Pour la DERNIÈRE fois



En plein jour il y aura

Une mer d’étoiles

Rien que pour toi et moi…

J'aime plus les sports d'hiver...

T'as pris la poudre d'escampette,
J'ai mis le nez dans la poudreuse
Pour éviter toutes tempêtes,
Espérons que tu sois heureuse...


Je surfais sur les pistes rouges
Au bar de l'hôtel des Abbesses,
Tu espérais qu'enfin je bouge
Mais trop peureux pour le tire-fesses...


De la terrasse chez Yvette,
Je matais ton beau postérieur,
Remettez-moi un Glennlivet,
Car revoilà ton moniteur...


Tout en Ray-Ban et cheveux blonds,
Les yeux rivés entre tes seins,
Non merci mais pas de glaçons
Ça me rend malade tel un chien...


Rêves-tu de lui faire l'amour ,
Espérant que ce soit exquis ?
Je vais passer à l'Aberlour,
Est-ce moi ou le ciel est gris ?


Faut que je retrouve ma clé
Et l'escalier qui colimaçe,
Un Jet 27 pour digérer,
Promis Yvette après j'me casse !


69, voici ma piaule,
Décidément c'est la saison !
Quand je pense qu'ailleurs toi tu miaules...
Moi j' vais dormir sur le bâton!


J'reviendrais plus aux sports d'hiver,
Non merci c'est la dernière fois !
Pour que toi tu t'envoies en l'air,
Et que je cirrhose mon foie ...

Une plage trop étroite...

On s'connait depuis quand, dis-moi ?


-J'sais pas, j'dirais 42, 44 ans.


P'tain ça commence à faire un bail !


-Ouais mon vieux poteau…


Y'aura eu quelques hauts et bas.


-Un peu. Mais c'est la vie ça, nan ?


Ouais, ça n'a jamais duré…Aïe !


-T'as mal là ?


Avec ce qu'ils me donnent, pas trop…
Ça m'a fait marrer la phrase du toubib hier, pas toi ?


-Pas vraiment non …


« Une plage très étroite de guérison. »


-La rhétorique de l'homme de l'art !


C'est plus étroite qu'elle est,
C'est inexistante mon gars…


-Dis pas çà s'il te plait,
Tu sais qu'on peut encore se battre!


Se battre ?
J'en ai plus très envie…
J'suis usé, tu vois, usé…


-Je sais.


Ai-je eu une belle vie ?

-Pourquoi t'utilise le passé ?


Parce que je suis en train de m'enfuir !
D' écrire doucement
Le mot fin sur l'écran.
J'ai pas peur de souffrir,
De mourir,
J'ai juste pas envie
De quitter cette vie !
De plus voir à la nuit
Toute juste tombée
Vénus s'éclairer
Comme une petite bougie.
De sentir la douceur
D' une peau au matin
De caresser ses seins
Tant chargés de bonheur…
Et la si fine buée,
De nos verres de rosé
Sur la terrasse l'été
A la maison du temps passé…


-Arrête…


Toi arrêtes, arrête de te faire croire
Qu'il y a de l'espoir !

-Y'en a encore,
Un feu ne peut pas être éteint
Tant que le vent souffle fort .
Putain !
Bat-toi ! Fais-le pour moi !

Je suis si las,
Trop las...
Tu sais à l'église, quand ce sera le moment
Faudra pas trop laisser parler l'homme en blanc.
C'est Dieu à chaque fois qu'ils enterrent
Pas le gars dans la boite posée sur le parterre.
Alors que diras-tu mon frère,
Mon épaule, mon ami de toujours.
Que diras-tu en ce jour ?

-Je dirais

Oui ?

-Que je t'aimais…

Le magasin vers

Une petite et vieille dame, frêle comme un léger souffle de vent, pousse la porte d'un magasin rue Aloysius Bertrand.

« - Bonjour Messieurs et Dames…
-Tiens, Mââme Lucien ! Ben, z'êtes pas v'nue avec Blacky jourd'hui ?
-Bonjour Monsieur Léon, non je l'ai laissé à la maison.
-Eh vous z'auts ! Mââme Lucien est v'nue sans son çien çien, tiens tiens !...S'cusez, pas pû m'empêcher ! Savez bien qu'ici c'est bonne humeur au quotidien et à tout'z' heures … Alors, elle veut quoi la p'tite dame à matin ?
-Et bien, je vais en prendre pour 15 euros.
- 15 euros ! Z'allez pas avoir grand-chose avec ça ! On va vous en met' pour 30 et j'vous marque ça, on verra plus tard…
-Vous êtes bon Monsieur Léon.
- Y'a pas d'lézard !

Monsieur Léon, face rougeaude, tablier blanc et crayon sur l'oreille s'en va vers l'arrière-boutique.
« - On a une cliente, S'coue-toi donc ! T'en fais pour 30 et qu'ça soit bon !
- C'est qui ?
- La vieille Lucien !
- Ah, je l'aime bien…Je lui apporte dès que c'est fini !

Quelques minutes plus tard.
« - Bonjour madame
- Oh bonjour Monsieur Yan !
- Pas de monsieur s'il vous plaît…Tenez, votre paquet ! Dites rien au patron, il est gentil mais bon…Je vous en ai mis un peu plus pour tenir jusqu'à la fin du mois.
- Merci beaucoup mon bon ami.
- Non, c'est moi...
- Quelle drôle d'époque mon petit, dans le temps cela ne se vendait pas !
- Oui, j'ai entendu dire ça. Bon après-midi Madame Lucien, faites un bisou à Blacky.
- Je n'y manquerai pas, merci !"

La petite vieille dame fait glinglguinguer la sonnette en sortant.
Dans la rue elle marche à petits pas comptés vers le square d'Aubigné.
Elle s'assoit sur un banc, le même depuis deux ans, depuis l'ouverture du magasin.
Elle tient le paquet entre ses mains, l'ouvre doucement, lentement en y prenant grand soin. Elle déplie le feuillet, range dans son sac la facture.
Le soleil illumine les bleuets.
Elle ajuste ses lunettes sur son nez encore en trompette et elle lit:
" A Madame Lucien et à Blacky.

Vois-tu là-bas Amour, loin, cette voile noire
Semblant dire à la nuit, laisse venir le jour,
Laisse-nous croire encor, laisse-nous cet espoir,
Comme aux petits enfants, faire croire aux toujours.

La bas Amour, blanche, la lune se masque
Dessous un tulle noir comme on masque l'envie
D'aimer encore un peu l'amère marasque,
Le frisson de la mort, l'acide de la vie.

Bien à vous Madame. Signé : Yan."

La veille dame essuie un peu de larmes, plie le poème et le remet dans le petit sac couleur café-crème.
Elle regarde l'emblème du magasin sur le papier un peu froissé et la devise en lettres dorées:
« Aimons-nous en vers et contre tout ! »

Elle se lève en s'aidant de ses mains...
"Vivement le mois prochain !..."

Dieu ne m'aime pas !

Angola, Huambo, avril 2003

Je me nomme Olimpio TITA de la tribu Ovimbundu, région de Huambo.

J'ai douze ans.

Je suis là dans ma savane, je garde mon petit troupeau de boeufs.

Le matin, très tôt, avant que le soleil n'ondule trop sur les tôles de notre classe, je vais à l'école. Deux heures par jour.

Après je vais avec mes bêtes.

Ce matin, cela ne va pas bien dans ma tête!

La maîtresse a dit que le noir n'est pas une couleur.

Pourquoi alors dire de nous: les gens de couleurs?

Dieu nous a créé à son image.

J'ai jamais vu son fils Jésus peint en noir à l'église du village...

Le noir c'est la peur, le mal!

Je suis pourtant gentil moi, je garde mon troupeau, c'est tout.

Maman m'a dit avant de mourir, "sois un homme droit et juste mon petit Titou, reste gentil comme le Bon Dieu t'a fait!"

Mais Dieu ne m'aime pas, il m'a fait noir!

Grand-père dit qu'avant, il y a longtemps, y'avait pas qu'un seul Dieu...

Peut-être qu'il y en avait un noir dans le lot?

Ce sont les blancs qui ont limité le nombre de dieux par personne.

Le blanc, c'est une couleur!

Tout au loin, ma montagne Morro do Môcco se nappe de brume. Il fera très chaud

jusque tard dans la nuit.

C'est beau!

Tous les jours je la regarde et sans savoir pourquoi, je suis ému.

Elle n'est ni blanche ni noire ma montagne.

Elle est seulement de la couleur du temps qu'elle a vu passer et de celui à venir...

Le temps çà n'a pas de couleur.

Dieu ne m'aime pas! Il m'a fait noir!

Le blanc, c'est le bonheur, la pureté.

Blanc comme la neige sur les photos dans les livres à l'école.

Blancs comme les mariés.

Mon grand-frère dit qu'en d'autres pays, ils disent là-bas que "travailler au noir" c'est pas bien, que quand les gens ont pas le moral, ils"broient du noir". Que parfois à la "nuit noire" les gens ont peur..

Qu'est-ce qu'on leur a fait?

Moi j'ai pas peur la nuit...

Je vais même dehors quand grand-père est endormi.

Je marche dans les herbes hautes et je m'assoie sur un petit rocher.

Toujours le même.

Je regarde la lune éclairer ma montagne.

Ronde et brillante comme un miroir.

La lune blanche dans la nuit noire...